La France et l’Algérie
Au-delà des polémiques stériles et souvent imbéciles , un bon article de fond sur l'histoire d'une colonisation sanglante dénoncée dès 1845 en France et ailleurs en Europe : -Le journaliste politique a évoqué, sur l'antenne de RTL, la violence et les massacres commis par l'armée française lors de la conquête coloniale, souvent méconnus en France. Invitée sur RTL ce mardi 25 février, la vice-présidente LR de la région Ile de France Florence Portelli a dénoncé la ligne diplomatique d'Emmanuel Macron vis-à-vis de l'Algérie, dans le contexte actuel de tension avec Alger notamment sur la question des OQTF : «Emmanuel Macron est allé faire des courbettes au régime algérien.» C'est à ce moment-là qu'un débat s'ouvre en parallèle entre Thomas Sotto et son journaliste politique Jean-Michel Aphatie. L'animateur avance que depuis «des décennies, on a peur des réactions des autorités algériennes». Et Aphatie de répondre : «Parce qu'on a une culpabilité vis-à-vis de l'Algérie, ça vous a échappé ?» «Elle est toujours légitime cette culpabilité ?» relance Thomas Sotto. «Oui, selon Jean-Michel Aphatie. Parce qu'on les a massacrés. Parce qu'on l'a jamais reconnu. […] Vis-à-vis de l'Algérie, si la France présentait des excuses pour 130 ans de massacres, de meurtres, de paupérisation d'un peuple d'une violence incroyable…» Le journaliste politique développe ensuite : «Vous savez, chaque année en France, on commémore ce qu'il s'est passé à Oradour-sur-Glane, c'est-à-dire le massacre de tout un village. On en a fait des centaines nous en Algérie. Est-ce qu'on en a conscience ?» «Jean-Michel, on n'a pas fait Oradour-sur-Glane en Algérie ! On s'est comportés comme des nazis en Algérie ?» l'interroge l'animateur. «Les nazis n'existaient pas. On ne s'est pas comportés comme des nazis. Les nazis se sont comportés comme nous l'avons fait en Algérie. Combien de femmes, combien d'enfants ?» lance Aphatie. Florence Portelli estime pour sa part que «ça n'a rien à voir» avec Oradour-sur-Glane où «des femmes et des enfants ont été brûlés dans une église» et «les hommes mitraillés». Ce à quoi Jean-Michel Aphatie rétorque : «Nous ce que nous avons fait, c'est que les villageois algériens se réfugiaient dans des grottes. On a muré les grottes, on a mis du bois devant les grottes, on a allumé du feu et on les a asphyxiés. Vous avez en 1845 un débat au Sénat sur les massacres que commet l'armée Française en Algérie. Il y a une campagne de presse européenne tellement les Européens sont affolés par la violence de l'armée française.» L'Arcom saisie Des déclarations qui ont fait réagir de nombreux responsables politiques, notamment à droite et à l'extrême droite. Plusieurs députés RN ont par exemple dénoncé un «détournement odieux de l'histoire». L'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a annoncé avoir été saisie via des signalements et «va instruire la séquence dans le cadre de ses fonctions», selon le Parisien. Contacté, Jean-Michel Aphatie ne souhaite pas réagir mais indique simplement se référer aux travaux d'historiens comme Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron, mais aussi Benjamin Stora. Il se réfère également aux carnets des militaires impliqués dans la conquête coloniale, aux auteurs qui ont pu les mentionner, comme Victor Hugo, ou aux nombreuses sources algériennes, par exemple le journaliste Lazhari Labter sur le massacre de Laghouat. Ce dernier est en effet emblématique des massacres commis par l'armée française, souvent méconnus en France mais très présents dans la mémoire algérienne. Une tribune publiée en 2023 dans le Monde, signée notamment par l'historien spécialiste de l'histoire algérienne Benjamin Stora, rappelait comment, «en 1852, pour écraser un soulèvement, l'armée coloniale française, forte de 6 000 hommes […] assiège une ville du Sud algérien, Laghouat. La bataille commence le 21 novembre. Le 4 décembre, Laghouat est prise d'assaut. Les massacres durent plusieurs jours et n'épargnent personne : les combattants, les femmes, les enfants, les vieillards. Plus des deux tiers des habitants périssent dans des conditions insoutenables. Les estimations font état de 2 500 morts». «Enfumez-les comme des renards» Sur RTL, Jean-Michel Aphatie a notamment pris l'exemple des «enfumades» : cette pratique consistait à asphyxier des Algériens, combattants comme civils, retranchés dans des grottes. Utilisée à plusieurs reprises, elle était même revendiquée par le maréchal Bugeaud, qui donnait pour consigne : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, enfumez-les à outrance comme des renards.» Et un épisode en particulier marqua effectivement à l'époque l'opinion publique française et européenne : les enfumades du Dahra en 1845. A la mi-juin, «pour fuir l'arrivée d'une colonne française, des centaines de membres de la tribu des Ouled Riah, hommes, femmes, enfants et vieillards, se réfugient avec leur bétail dans des grottes du massif du Dahra», comme le raconte le Nouvel Obs dans un récent article, s'appuyant sur des témoignages de soldats français. «Le lieutenant-colonel Aimable Pélissier est bien décidé à en finir. […] Le 18, il fait dresser des faisceaux de bois devant les entrées des cavités et ordonne qu'on les embrase. Les réfugiés sont pris au piège, asphyxiés par les fumées. Pendant des heures, on entend, venant des grottes, des hurlements de bêtes et d'êtres humains. Deux jours plus tard, quand les premiers soldats s'avancent en reconnaissance, il règne sur les lieux un silence de sépulcre. Le sol est jonché de plusieurs centaines de cadavres de moutons, d'ânes, de bœufs, de femmes, de vieillards, d'hommes et d'enfants. Les estimations oscillent entre 700 et plus de 1 000 victimes humaines.» Ce massacre provoqua des remous en France, avec notamment un débat à la Chambre des pairs (équivalent du Sénat), et diverses condamnations des pratiques impulsées par Bugeaud. «Aujourd'hui, [le maréchal Bugeaud] agit en homme qui ne comprend plus que la guerre brutale, la guerre d'extermination et de dévastation, la terreur. […] Nous espérons que des excès aussi horribles feront enfin ouvrir les yeux et prendre une résolution à la France», estimait par exemple le journaliste et homme politique Victor Considerant. Au point que le ministre de la guerre dut désavouer Pélissier. Sans grand effet : le lieutenant-colonel responsable du massacre fut défendu et in fine promu par Bugeaud. Peut-on, dès lors, comparer ou rapprocher ces massacres de l'armée française avec celui d'Oradour-sur-Glane, où 643 habitants ont été assassinés (dont de nombreuses femmes et enfants brûlés dans une église) par les SS en 1944 ? Et plus largement peut-on dire, comme l'a expliqué Jean-Michel Aphatie, que les nazis se sont comportés comme la France s'est comportée en Algérie ? Jean-Michel Aphatie n'est pas le premier à faire ce parallèle. En 2005, le politologue Olivier Le Cour Grandmaison publiait Coloniser Exterminer où il revenait sur les massacres de civils ou les destructions massives, mais aussi sur les mesures racistes et discriminatoires mises en place par la France en Algérie. ll faisait explicitement le lien entre la guerre d'Algérie et le nazisme. Selon lui, «la conquête puis la colonisation difficiles et meurtrières de l'Algérie doivent être considérées comme une sorte de vaste laboratoire au sein duquel des concepts – ceux de «races inférieures», de «vie sans valeur» et d'«espace vital», promis à l'avenir et aux usages que l'on sait – furent forgés». Le livre, salué par certains et contestés par d'autres historiens, avait suscité à l'époque un vif débat sur la nature de la guerre coloniale française. Dans la revue Esprit, les historiens Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet critiquait l'approche de l'auteur sous le titre «De vérités bonnes à dire à l'art de la simplification idéologique». Les deux spécialistes affirmaient ainsi qu'il n'y eut «en Algérie ni entreprise d'extermination sciemment conçue et menée à son terme, et, contrairement à ce qu'énonce OLCG, ni "projet cohérent de génocide" à avoir abouti en Algérie. Le statut des Juifs de Vichy fut, bien plus fermement que le Code de l'indigénat, rattaché au délire biologique ; et il fut un phénomène franco-français distinct de la discrimination ordinaire exercée sur des tiers en dehors de l'espace hexagonal. Ou alors, si les massacres coloniaux annoncent le nazisme, on ne voit pas pourquoi la répression sanglante de la révolte de Spartacus, ou le massacre des innocents, ou encore la Saint-Barthélemy, ne l'auraient pas tout autant annoncé… En histoire, il est dangereux de tout mélanger.» «Extrême violence» et anachronisme Interrogé aujourd'hui sur les propos de Jean-Michel Aphatie, l'historien Benjamin Stora insiste d'emblée sur «l'extrême violence» de «l'armée française» qui «a utilisé la méthode des colonnes infernales» à partir de 1840 en Algérie : «On brûle tout sur son passage, on détruit tout, on vise l'anéantissement de l'ennemi. Avec une violence extrême.» Le tout voulu et décidé par le général Bugeaud, dans un contexte «d'autonomisation du pouvoir militaire» vis-à-vis du politique. Au global, et même s'il est impossible aujourd'hui d'établir un bilan précis, la conquête coloniale, très longue, a fait «plusieurs centaines de milliers de morts» en raison «des massacres mais aussi des famines et des épidémies», au point de causer une «diminution de la population indigène à partir de 1830 et 1890». Pour autant, l'historien appelle à se «méfier des anachronismes» et prend ses distances notamment avec les travaux d'Olivier Le Cour Grandmaison (comme il l'avait déjà fait à l'époque de la publication du livre). Selon lui, contrairement au projet nazi, il n'y avait pas de «grand projet d'extermination prémédité» de la France en Algérie. «La guerre coloniale relève plutôt du chaos, avec des seigneurs de guerre qui ont droit de vie ou de mort sur les populations. Si on doit faire un parallèle historique, je le ferais plutôt avec la conquête de l'Ouest américaine, avec des pionniers qui avancent sur un temps très long, sur des territoires gigantesques, et des massacres.» Benjamin Stora tient au passage à souligner un «immense mérite» de Jean-Michel Aphatie, même s'il remet en question le parallèle avec le nazisme : «Il soulève, auprès du grand public, l'histoire de la conquête coloniale, qui est très peu connue en France car pas du tout transmise par l'éducation nationale. Alors que les Algériens connaissent beaucoup mieux cette histoire. On ne peut pas comprendre les tensions avec l'Algérie si on ne comprend pas ça.»
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