Pauvre Martin
Brassens Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terr', creuse le temps !
Écrite à Basdorf en 1943, Pauvre Martin a été enregistrée une première fois le 1er octobre 1953 (pour un 78 T) et réenregistrée le 15 janvier 1954 pour le 25 cm n° 2. Il existe donc deux versions officielles dont l'une avec une intro guitare.
Dans son ouvrage Brassens, une vie (Éditions IGE, 1982), André Larue, son copain de Basdorf, nous raconte la genèse (amusante) de cette chanson bouleversante : C'est dans cet endroit (les toilettes du camp !) que j'entendis pour la première fois Maman, papa et Pauvre Martin que Brassens a reprises plus tard. Au sujet de Pauvre Martin, nous avions des discussions sans fin. Il avait écrit :
« Avec une pioche à l'épaule/ Avec à la lèvre un doux chant
Martin s'en va plein de courage/ Martin s'en va trimer aux champs. »
Je lui disais qu'un garçon ne va pas retourner son champ avec une pioche mais avec une bêche. Il me reprochait de n'y rien connaître et assurait qu'il y avait dans « pioche à l'épaule » une contre-harmonie imitative qui m'échappait. Mais quand dix ans plus tard je l'entendis sur scène chanter Pauvre Martin, il avait écrit : « Avec une bêche à l'épaule ».
Son anecdote est illustrée par le fac-similé du brouillon de la chanson. Une première mouture de onze strophes dont Brassens a su extraire, façonner, vingt-deux octosyllabes accomplis.
Dans l'œuvre du poète, ce « pauvre Martin » nous renvoie à d'autres personnages, effacés, soumis à leur condition, qui tous, vivent sans rancœur la rudesse de leur destin : la vieille de Bonhomme, qui va ramasser « de ses doigts gourds » le bois mort pour réchauffer son infidèle de mari ; la Jeanne, qui est pauvre et dont la table « est souvent mal servie »… et puis l'inoubliable Petit cheval de Paul Fort. Entre l'âme de l'animal et l'âme de Martin, véritable bête de somme, point de différence : ils accomplissent leur tâche « en tous les lieux, par tous les temps » avec résignation. Tous deux subissent leur sort et ne cherchent refuge ni dans la tristesse ni dans la colère :
« … et toujours il était content…
…avec à la lèvre un doux chant… »
Qui a dit que la résignation de Pauvre Martin était politiquement coupable ? Avaient-ils – ont-ils – la liberté de choisir, ces paysans anonymes, ces moujiks, ces fellahs du monde entier ?
Martin ne laisse voir sur « son visage ni l'air jaloux ni l'air méchant ». Ce vers révèle toute la densité émotionnelle de la chanson. Avec un personnage plus révolté, plus vindicatif, la chanson eût été différente et vraisemblablement moins émouvante.
Pauvre Martin est devenu le symbole de l'humble misère, si infinie qu'elle semble faite, hélas, de la substance même de l'humanité.
« J'ai vu des ducs j'ai vu des princes / Des barons des comtes des rois
Des marquises à la taille mince / Qui dansaient au son des hautbois
Mais dans sa chaumière / Je n'ai pas vu pauvre Martin
Pauvre Martin pauvre misère / Avec sa femme et ses gamins »
chante Jean Ferrat dans Bicentenaire.
Vigny, Paul Fort, Jean Ferrat, on pourrait ajouter également Jean-François Millet. En effet, son célèbre tableau, L'angélus (1858), icône de la peinture populaire, n'est pas sans rappeler, par les tons et le sentiment exprimé, le réalisme, l'exaltation de l'humilité et la délicatesse qui émanent du poème de Brassens.
Pauvre Martin est le chef-d'œuvre d'un artiste dont ces paroles devraient toujours résonner en nous : « Dans toute relation, regarder n'importe qui en se disant : « C'est un homme » ».
JP Sermonte "Brassens l'histoire de ses chanson"www.lesamisdegeorges.com
Creuse la terr', creuse le temps !
Écrite à Basdorf en 1943, Pauvre Martin a été enregistrée une première fois le 1er octobre 1953 (pour un 78 T) et réenregistrée le 15 janvier 1954 pour le 25 cm n° 2. Il existe donc deux versions officielles dont l'une avec une intro guitare.
Dans son ouvrage Brassens, une vie (Éditions IGE, 1982), André Larue, son copain de Basdorf, nous raconte la genèse (amusante) de cette chanson bouleversante : C'est dans cet endroit (les toilettes du camp !) que j'entendis pour la première fois Maman, papa et Pauvre Martin que Brassens a reprises plus tard. Au sujet de Pauvre Martin, nous avions des discussions sans fin. Il avait écrit :
« Avec une pioche à l'épaule/ Avec à la lèvre un doux chant
Martin s'en va plein de courage/ Martin s'en va trimer aux champs. »
Je lui disais qu'un garçon ne va pas retourner son champ avec une pioche mais avec une bêche. Il me reprochait de n'y rien connaître et assurait qu'il y avait dans « pioche à l'épaule » une contre-harmonie imitative qui m'échappait. Mais quand dix ans plus tard je l'entendis sur scène chanter Pauvre Martin, il avait écrit : « Avec une bêche à l'épaule ».
Son anecdote est illustrée par le fac-similé du brouillon de la chanson. Une première mouture de onze strophes dont Brassens a su extraire, façonner, vingt-deux octosyllabes accomplis.
Dans l'œuvre du poète, ce « pauvre Martin » nous renvoie à d'autres personnages, effacés, soumis à leur condition, qui tous, vivent sans rancœur la rudesse de leur destin : la vieille de Bonhomme, qui va ramasser « de ses doigts gourds » le bois mort pour réchauffer son infidèle de mari ; la Jeanne, qui est pauvre et dont la table « est souvent mal servie »… et puis l'inoubliable Petit cheval de Paul Fort. Entre l'âme de l'animal et l'âme de Martin, véritable bête de somme, point de différence : ils accomplissent leur tâche « en tous les lieux, par tous les temps » avec résignation. Tous deux subissent leur sort et ne cherchent refuge ni dans la tristesse ni dans la colère :
« … et toujours il était content…
…avec à la lèvre un doux chant… »
Qui a dit que la résignation de Pauvre Martin était politiquement coupable ? Avaient-ils – ont-ils – la liberté de choisir, ces paysans anonymes, ces moujiks, ces fellahs du monde entier ?
Martin ne laisse voir sur « son visage ni l'air jaloux ni l'air méchant ». Ce vers révèle toute la densité émotionnelle de la chanson. Avec un personnage plus révolté, plus vindicatif, la chanson eût été différente et vraisemblablement moins émouvante.
Pauvre Martin est devenu le symbole de l'humble misère, si infinie qu'elle semble faite, hélas, de la substance même de l'humanité.
« J'ai vu des ducs j'ai vu des princes / Des barons des comtes des rois
Des marquises à la taille mince / Qui dansaient au son des hautbois
Mais dans sa chaumière / Je n'ai pas vu pauvre Martin
Pauvre Martin pauvre misère / Avec sa femme et ses gamins »
chante Jean Ferrat dans Bicentenaire.
Vigny, Paul Fort, Jean Ferrat, on pourrait ajouter également Jean-François Millet. En effet, son célèbre tableau, L'angélus (1858), icône de la peinture populaire, n'est pas sans rappeler, par les tons et le sentiment exprimé, le réalisme, l'exaltation de l'humilité et la délicatesse qui émanent du poème de Brassens.
Pauvre Martin est le chef-d'œuvre d'un artiste dont ces paroles devraient toujours résonner en nous : « Dans toute relation, regarder n'importe qui en se disant : « C'est un homme » ».
JP Sermonte "Brassens l'histoire de ses chanson"www.lesamisdegeorges.com
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