CHAC MOOL ET LA MÉMOIRE DU CONTINENT MU

…
Au cœur de Chichén Itzá, entre des colonnes érodées par le vent et des temples dédiés à des dieux désormais oubliés, se trouve une figure énigmatique : le Chac Mool. Allongé, la tête tournée et le regard défiant les siècles, il tient sur son ventre un bol en pierre. Les archéologues nous disent qu'il servait à recueillir des offrandes — peut-être des cœurs, peut-être du sang, peut-être des rêves.
..
Et si c'était autre chose ? La statue du Chac Mool est typique des civilisations mésoaméricaines, mais personne ne sait vraiment d'où vient l'archétype. Il n'existe pas de stades intermédiaires, de versions brutes, d'expériences. Elle apparaît complète, définie, symbolique, comme une idée qui a survécu à une époque précédente.
...
Selon les chronologies officielles, cette iconographie remonte à environ 1 200 ans, mais quelque chose ne colle pas. En effet, on retrouve des postures similaires dans les cultures océaniques, dans les anciens temples indiens et même dans des images rituelles andines. Et si cette figure était la trace d'une mémoire commune, d'une civilisation encore plus ancienne ?
...
La génétique nous apprend que des populations humaines étaient déjà présentes en Amérique du Sud il y a 33 000 ans. Le site de Monte Verde, au Chili, est daté de 14 800 ans. Des restes humains trouvés au Brésil, à Lagoa Santa, témoignent d'une origine non sibérienne, mais peut-être austronésienne ou australoïde, suggérant d'anciennes migrations maritimes. Et dans l'ADN de ces populations, des traces de l'Océanie et de l'Asie du Sud-Est : une signature génétique laissée par ceux qui, peut-être, venaient de beaucoup plus loin.
...
Au XIXe siècle, l'abbé et archéologue Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg a proposé une hypothèse audacieuse : selon les textes mayas qu'il avait traduits, les civilisations mésoaméricaines descendaient d'un continent disparu dans l'océan Pacifique, appelé Mu. Ses collègues ont ri. Mais aujourd'hui, nous savons quelque chose qu'il ne pouvait pas savoir. Sundaland, une plate-forme continentale aujourd'hui submergée, s'étendait entre l'Indonésie actuelle, la Malaisie et Bornéo. Il y a entre 14 600 et 7 000 ans, elle a été engloutie par la mer en raison de la fonte des glaciers.
...
Et les populations qui y vivaient ? Certaines d'entre elles, mélangées aux Denisoviens, étaient d'extraordinaires navigateurs. Ils sont peut-être arrivés en Amérique bien avant Christophe Colomb... et peut-être même avant les Clovis. À l'époque précolombienne, le cocotier (Cocos nucifera) était déjà présent en Amérique centrale. Originaire d'Océanie. Des traces de nicotine et de cocaïne, des plantes disponibles uniquement dans le Nouveau Monde, ont été trouvées sur des momies égyptiennes.
...
Qui a transporté les graines, les symboles et les connaissances d'un côté à l'autre de l'océan ? Peut-être a-t-il aussi apporté des souvenirs. Le souvenir d'une patrie perdue, transmis à travers les mythes, les formes, l'architecture. Le Chac Mool n'est pas seulement un objet : c'est un code. C'est la survie symbolique d'une civilisation mondiale qui unissait le Pacifique et l'Atlantique, l'Asie et l'Amérique, avant que les eaux ne changent tout.
...
Aujourd'hui, nous pouvons dire que Brasseur avait raison. Mu existait. Pas comme une île imaginaire, mais comme une réalité géologique : Sundaland. De la même manière, Platon avait également raison, mais il regardait vers l'Atlantique, vers la Mauritanie, le Sahara et les colonnes d'Hercule. Il s'agissait de deux civilisations mères, deux facettes d'une même grande histoire.
...
Ainsi, lorsque nous regardons le Chac Mool, nous ne regardons pas seulement un vestige maya. Nous regardons un survivant symbolique. Un témoin silencieux d'une mémoire ancestrale, d'une civilisation qui existait avant l'histoire, avant les mots, mais pas avant la conscience. Une civilisation globale, équatoriale, qui a laissé des traces dans l'ADN, dans les pierres et dans les rêves. Le Chac Mool nous regarde depuis cette époque. Et il attend que quelqu'un comprenne.